Disparition de la biodiversité : un risque systémique pour l’économie encore peu évalué
La disparition du capital naturel est le second risque majeur auquel nous allons être confrontés dans les dix ans à venir, selon le rapport annuel du Forum de Davos sur les risques planétaires. Pourtant à l’heure où la biodiversité est en grand péril, la finance durable a les yeux braqués sur le changement climatique. Pour changer la donne, il faut pouvoir évaluer la dépendance des entreprises à la biodiversité. Bonne nouvelle, des outils commencent à émerger.
Salle comble le 16 janvier 2019 à Zürich au sein de la Banque Suisse UBS pour la sortie d’ENCORE (Exploring Natural Capital Opportunities, Risks and Exposure). Développée par l’Alliance de la finance pour le capital naturel, qui rassemble une quarantaine de grandes institutions financières mondiales, cette plateforme disponible en ligne est le fruit de trois ans de travail. Elle permet de comprendre, secteur par secteur et métier par métier, quels sont les apports de la biodiversité à une activité donnée et donc quelles sont les menaces qui pèsent sur elle.
La base de données distingue d’un côté les impacts physiques directs, ceux qui vont compromettre les processus de production. De l’autre, elle met en avant les solutions qui peuvent atténuer les impacts les plus négatifs et servir de rempart aux perturbations les plus importantes. « ENCORE produit des informations que les investisseurs peuvent utiliser pour analyser les risques liés à la perte de capital naturel pesant sur leurs portefeuilles et intégrer ensuite ces informations dans leurs processus de gestion du risque existants », explique le Swiss Sustainable Forum organisateur de l’événement.
Il s’agit pour l’instant d’études pilotes réalisées avec des banques en Colombie, au Pérou et en Afrique du Sud. Comme l’explique Madeleine Ronquest, directrice du risque environnemental et social de la banque sud africaine FirstRand : « C’est très important pour nous car les banques ne collectent pas les données leur permettant d’évaluer l’impact de la perte de biodiversité sur la solvabilité de leurs clients. Prenons l’exemple de la disparition progressive de certaines espèces de poissons. Cela entraîne des pertes considérables pour les pêcheries qui en plus doivent investir pour relocaliser leurs activités dans des endroits plus riches en poissons ».
Chiffrer le coût de la disparition de la biodiversité
« Notre économie mondiale dépend à 40 % de la biodiversité dont 60 % est directement menacé », explique en deux chiffres chocs Antoine Cadi, directeur de CDC Biodiversité. « Nous avons beaucoup de retard dans la prise de conscience d’un phénomène gravissime dont les effets vont être ressentis plus vite que ceux du réchauffement climatique », ajoute-t-il.
C’est pourquoi son organisation, filiale de la Caisse des dépôts, travaille au développement d’un Global Biodiversity Score (GBS). « L’objectif est de construire un indicateur simple qui est en quelque sorte le score de destruction de la biodiversité qu’obtient une activité donnée de telle ou telle entreprise ». L’ambition est importante puisque CDC Biodiversité espère que son GBS sera à la biodiversité ce que la tonne équivalent CO2 est au climat. C’est-à-dire un indicateur qui permet d’évaluer, quantifier et réorienter les modèles économiques et financiers.
Compte tenu de la multiplicité des interconnexions au sein d’un écosystème donné, le calcul du GBS est par nature complexe. L’approche choisie est celle des scopes comme pour le climat. Le premier couvre les impacts directs, le second ceux liés à la consommation d’énergie et le troisième les impacts les plus indirects (mais ils sont pour l’instant hors champ d’étude).
150 milliards nécessaires
« Pour développer notre GBS avec des données économiques et financières les plus précises possibles, nous avons créé un club, le B4B+ qui rassemble des entreprises et des financiers », explique Antoine Cadi. « Nous voulons être prêts dès 2020. Ce doit être l’année où la COP 15 sur la biodiversité organisée à Pékin permette d’aboutir à un accord international de protection de la biodiversité à l’image de la COP 21 qui a débouché en 2015 sur l’Accord de Paris pour le climat. »
Le Club de CDC Biodiversité compte une trentaine d’entreprises dont une demi-douzaine d’organismes financiers (BNP Paribas, la Banque Postale, BPCE, BPI, AFD, Caisse des dépôts). La mobilisation des capitaux sur la protection de la biodiversité est encore très loin de couvrir les besoins nécessaires. On estime les montants à 50 milliards de dollars par an aux trois quarts publics alors qu’il faudrait dépenser a minima 150 milliards pour préserver la biodiversité !
Le sujet prend corps et Finance for Tomorrow, l’initiative française sur la finance durable, dont Novethic est membre, a même pu réaliser une cartographie des acteurs financiers engagés sur cette nouvelle classe d’actifs : le capital naturel et la biodiversité !
Source : Novethic.fr – Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic